Trouble du comportement alimentaire (TCA)

Les régimes XXL des cyclistes

Par la Mountain Queen

ANOREXIE OU TCA! Chut…

Il ne faut pas en parler trop fort. C’est un secret difficile à avouer pour de nombreux cyclistes.

Le rapport poids-puissance est un élément fondamental de la performance. Ce n’est pas pour rien que lorsque que vous finissez un test de FTP, l’évaluateur/coach/préparateur physique va toujours vous dire: Tu as deux choix : 

  • soit tu vas chercher plus de puissance ou 
  • soit tu perds du poids… 
  • Idéalement les deux

Ce genre de discours est devenu banal et même une norme dans le monde du cyclisme. Comment peut-on arriver à se faire autant violence, à entrer dans cette spirale infernale et même à l’apprécier? 

Tous ces cyclistes semblent heureux lorsqu’on les regarde à la troisième personne. Mais si nous nous rapprochons un peu… La plupart de ces gens traînent avec eux un mal de vivre. Un TCA est beaucoup plus profond que l’on pourrait penser. La détresse psychologique en causalité avec cette pathologie est destructrice pour l’individu. L’immense sentiment de honte et de solitude vécu par les personnes atteintes d’un TCA peut renforcer leurs croyances pour ne pas aller chercher de l’aide.   

Je tiens à préciser que ce ne sont pas simplement les athlètes de haut niveau qui souffrent de TCA. Tous ceux qui font plus de 8 heures d’activité physique par semaine ayant une visée compétitive et par là, j’inclue compétition de toutes les formes. Eh oui, même devenir le coq dans son club de vélo, ça compte. Ils sont tous sujets à développer des TCA.    Le trouble du comportement alimentaire regroupe l’ensemble des désordres alimentaires répertoriés dans le DSM-5 (Manuel Diagnostique et Statistiques des troubles mentaux) tel que:

  • Mérycisme (Régurgitation répétée de la nourriture. La nourriture régurgitée peut être remâchée, ravalée ou recrachée.)
  • La restriction ou l’évitement de l’ingestion d’aliments
  • L’anorexie mentale 
  • La boulimie  
  • Les accès hyperphagiques (Crise de gloutonnerie)

Puis il y a les TCA non répertoriés qui se nomment les troubles alimentaires non spécifiés ou subcliniques. Ils concernent les comportements alimentaires inadaptés chez des personnes symptomatiques ne remplissant pas les critères diagnostiques.   

Dans le contexte du présent article, je ne vais pas traiter l’entièreté de ces troubles et m’en tenir uniquement au TCA athlétique. Je vais tout de même prendre le temps d’expliquer l’anorexie mentale pour bien saisir la différence avec une TCA sportive.

L’anorexie mentale

Le DSM-5 définit l’anorexie mentale selon 3 critères :

  • Restriction des apports énergétiques par rapport aux besoins conduisant à un poids significativement bas compte tenu de l’âge, du sexe, du stade de développement et de la santé physique. Est considéré́ comme significativement bas un poids inférieur à la norme minimale ou, pour les enfants et les adolescents, inférieur au poids normal attendu.
  • Peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, ou comportement persistant interférant avec la prise de poids, alors que le poids est significativement bas.
  • Altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi, ou manque de reconnaissance persistant de la gravité de la maigreur actuelle. 

TCA athlétique est dite subclinique puisque comme expliqué plus haut, elle ne remplit pas tout l’ensemble des critères diagnostiques. C’est donc un syndrome partiel des troubles du comportement alimentaire. 
Cependant, elle présente plusieurs caractéristiques semblables à l’anorexie mentale, telles que la diminution significative du poids et la présence de méthodes de contrôle pondéral. Si son association à une distorsion de l’image corporelle est rare, la recherche d’un ratio poids/performance optimal la caractérise (Deimel & Dunlap, 2012).

Dans la TCA sportive, la perte de poids est très progressive et non rapide. Cela s’installe progressivement, elle est insidieuse et peut échapper aux proches du sportif puisque malgré une perte pondérale significative le poids de l’individu peut être dans les limites de la normalité. L’anorexie mentale au contraire est d’évolution plus rapide et est évidente cliniquement.

Le trouble disparait ou augmente. L’individu délaisse les contraintes alimentaires auto-imposées et retrouve son poids normal en intersaison ou à l’arrêt des entraînements (lors des petites pauses). L’anorexie athlétique peut prendre fin à l’arrêt du sport.   

En revanche, il peut y avoir un continuum de passage des TCA subcliniques vers des troubles du comportement alimentaire plus graves comme l’anorexie mentale et la boulimie nerveuse qui sont un mauvais pronostic. D’où l’importance de la détecter rapidement. 

Malheureusement, la majorité des sportifs évoquent qu’avant de réaliser qu’ils n’avaient plus le contrôle, la pathologie les avait sous contrôle quoi qu’il arrive. Ils ne savaient même plus quand ils ont commencé à dire non à la vie…

Pour faire la détection rapidement, rien de mieux que de connaître les causes, les facteurs de risque et les signes et symptômes de l’anorexie athlétique.

Premièrement, il a été démontré que certains sports représentent un risque plus élevé de TCA. Il y a trois catégories de pratiques sportives selon lesquelles le poids corporel influence la performance sportive. Bachelor de Bigler Fiona, Mabillard Céline (2019). Cet auteur regroupe des pratiques sportives dites: 

(a) « longilignes » comme la gymnastique, qui nécessite une forme corporelle particulière pour répondre aux performances techniques et artistiques 

(b) « d’endurance » ou « d’efficience » comme la natation, la course à pied, le cyclisme au sein desquels les sportifs les plus musclés sont à risque d’être perçus comme plus lents, 

(c) « à catégorie de poids » comme le judo, imposant un ratio poids/puissance optimal pour battre son adversaire (Currie, 2010). 

Puis il y a les facteurs de risque généraux comme expliquer dans le travail de Bachelor de Bigler Fiona et Mabillard Céline (2019). 

Les facteurs de risque généraux sont :

  • Les facteurs prédisposants : génétique, psychologiques et socioculturels (idéaux occidentaux en matière d’apparence et leur approbation) ;

    Les facteurs de risque psychologiques sont particulièrement intéressants, notamment l’image corporelle et l’internalisation des idéaux sociaux de minceur. Cette dernière notion correspond à la mesure dans laquelle une personne adhère aux idéaux de beauté conçus par la société et adopte des comportements pour les atteindre. L’image corporelle est définie comme l’interprétation personnelle du corps d’un individu et regroupe des dimensions cognitives, émotionnelles et comportementales. Elle peut évoluer et est influencée par l’internalisation des idéaux sociaux de minceur véhiculée par la société et les médias. L’insatisfaction corporelle apparait lorsque l’image de l’individu face à son propre corps diffère de celle du corps qu’il considère comme idéal et elle influence négativement l’estime de soi. (1)
  • Les facteurs déclencheurs : commentaires négatifs sur le poids, expériences traumatisantes, … (1)

    À titre d’exemple, voici une partie du témoignage de Clément Chevrier dans le journal LA MONTAGNE:
    Du plaisir à «manger de l’air»
    https://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand-63000/sports/quand-l-anorexie-gagne-le-peloton_13619362/#refresh

    Cette habitude, devenue peu à peu obsessionnelle, Clément Chevrier l’a acquise alors qu’il commençait à frapper aux portes du monde professionnel. Licencié au sein de Chambéry CF (antichambre de la formation AG2R-La Mondiale) au début des années 2010, le coureur était déjà pour le moins très affûté (1m78 pour 60kg). Un vrai physique de grimpeur. On lui décèle d’ailleurs des qualités évidentes dans le domaine. Et vient le temps des premiers conseils. «Perds quatre ou cinq kilos et tu voleras en montagne…» Le début de la fin…

«On est dans une bulle. On est dans notre monde. On est obnubilé par ce que l’on mange, par ce que l’on va manger. A la base, cela part d’une quête de performance pour passer pro. Et pour moi être pro, c’était un rêve de gamin. Certains prennent les choses à cœur plus que d’autres. Quand on a 18-19 ans, on est plus faible mentalement. Et il faut dire que j’aime bien faire les choses à fond aussi…«

Clément Chevrier

Sa conviction étant renforcée par des résultats probants, le jeune cycliste va mettre le curseur de plus en plus haut. «Pour moi pendant longtemps, je ne faisais juste que le métier. Je prenais vraiment plaisir à faire le métier. Le plaisir de se sentir maigrir, le plaisir de se sentir léger. C’était cette démarche-là. Je n’avais pas envie de manger des pâtisseries. Je prenais plaisir à manger de l’air, de la salade.» Et à force de bouffer du vent, Clément va peu à peu descendre sous la barre des 50 kilos…

Effectivement, les sportifs sont également exposés à des facteurs de risque de troubles alimentaires spécifiques à la pratique sportive. Ces facteurs sont notamment les régimes, les régulations fréquentes du poids, la pression à perdre du poids, la personnalité(exercice excessif, perfectionnisme, comportement obsessionnel et compulsif), le début précoce d’un entrainement spécifique… (4)

  • Les facteurs de maintien : approbation de la part des personnes importantes.

    Certaines caractéristiques telles que l’exercice excessif, le perfectionnisme ou encore la conformité peuvent être considérées par les entraineurs comme étant positives alors que ces mêmes traits sont retrouvés chez les personnes souffrant de TCA. De ce fait, le personnel sportif peut, inconsciemment, renforcer les troubles alimentaires plutôt que de les identifier et de les traiter. Ce renforcement peut également être induit par les coéquipiers des athlètes, les pairs étant considérés comme un élément d’influence importante au sein d’une population sportive. (1)

Le développement de troubles de l’alimentation débute par une alimentation adéquate accompagnée d’entrainements appropries ainsi que le recours occasionnel à des méthodes démesurées visant une perte de poids rapide. L’évolution de ces comportements peut mener à un régime chronique, des variations de poids fréquentes, des purges ou encore l’utilisation de pilules amincissantes. Ces moyens peuvent être associés ou non avec un entrainement excessif. La conséquence clinique de ces comportements est la survenue de TCA. (1)

Critères permettant de déceler une anorexie athlétique

  • Perte de poids supérieure à 5 % du poids idéal
  • Retard de la ménarche (première menstruation supérieure à 16 ans)
  • Troubles du cycle menstruel (aménorrhée ou oligoaménorrhée)
  • Problèmes gastro-intestinaux
  • Absence de maladie ou pathologie psychologique justifiant la perte de poids Représentation du physique déformé
  • Peur excessive de prendre du poids et/ou de devenir obèse
  • Restriction alimentaire (inferieure à 1200 kcal/j)
  • Utilisation de méthodes purgatives
  • Épisode d’hyperphagie
  • Pratique physique de manière compulsive (4)

Conséquences des TCA sur la santé des sportifs

Le jeûne prolongé induit des complications médicales pouvant aller jusqu’au décès. Les conséquences pouvant mener jusqu’au décès sont multiples… Voici quelques-unes des complications: 

  • Problèmes gastro-intestinaux
  • Constipation, ralentissement de la vidange gastrique, douleur et dilatation intestinale liées à l’atrophie du tractus gastro-intestinal
  • Altération du système cardiovasculaire
  • Hypotension, bradycardie, arythmie, diminution de la masse du ventricule gauche
  • Augmentation du risque infectieux, ostéopénie (déminéralisation osseuse)
  • Altération de la libido
  • Altération psychologique, dépression
  • État de déshydratation, déficit en micronutriments, altération des systèmes neuroendocriniens… (4)

En plus des effets sur l’équilibre de l’homéostasie, cette privation chronique à un impact sur la performance.

Logiquement nous pourrions penser que le déséquilibre nutritionnel induirait une diminution de la performance. Cependant, Johnson MD (1992) a su démontrer que la restriction alimentaire pouvait dans un premier temps augmenter la performance. La privation de nourriture stimule l’axe hypothalamo- hypophyso-surrénalien (il contrôle les réponses au stress. Les réponses au stress régulent de nombreux processus, dont la digestion, le système immunitaire, l’humeur et les émotions, la sexualité, le stockage et la dépense d’énergie…). Ce qui produit une mobilisation des ressources énergétiques rapide et favorisant dans un premier temps la performance en endurance. Par ailleurs, la diminution initiale de poids entraine une augmentation transitoire de la consommation maximale d’oxygène. (3)-(4)-(12)

Donc d’une manière générale, les effets du traitement de l’énergétique sur la performance sont plutôt en relation avec la sévérité et la chronicité de la restriction alimentaire. Dans un deuxième temps, apparaissent les effets délétères se traduisant, entre autres, par une diminution rapide du glycogène (principale source d’énergie du corps), une fatigue musculaire accrue, une déshydratation induisant une altération de la thermorégulation (mécanisme régulateur par lequel la température interne du corps), une fonte de masse musculaire. On observe également une augmentation des risques infectieux. Augmentation des risques de blessures musculosquelettiques et le temps de récupération après blessure. Une diminution de la force, de la vitesse et une augmentation du temps de récupération sont également observées. Des problèmes d’anémie apparaissent également, induisant une diminution de la performance surtout en endurance. (3)-(4)-(5)

Prévention

Il devrait y avoir plus de prévention pour la TCA sportive!

Il est important d’éduquer les prochaines générations à l’importance d’avoir un corps sain. Nous ne sommes pas des machines. Nous devons la vie à notre corps, il faut lui rendre hommage en prenant soin de lui. 

Dans un témoignage: 

Les grimpeurs français brisent le tabou des troubles du comportement alimentaire, 

Plusieurs d’entre eux ont exprimer leurs ressentiments: 

J’ai souvent eu honte de mon corps face aux autres filles en compétitions qui sont très maigres. Je me suis parfois sentie jugée de ne pas être aussi mince qu’elles et j’ai de nombreuse fois réfléchie à pratiquer un régime très restrictif pour avoir une grande perte de poids.

Celia (22 ANS. Grimpeuse de niveau régional et national, en difficulté. Cela fait ¾ ans qu’elle a arrêté l’escalade)

J’aurais aimé qu’on m’aide à accepter mon corps à cette période-là au lieu de le dénigrer sans cesse, ce qui ne peut pas être favorable à la progression. D’autant plus que je suis vraiment convaincue que l’on peut atteindre ses objectifs avec un corps sain et équilibré.

Florence Pinet (Double championne de France de bloc et difficulté en 2009)

Et se sentir vraiment fort, c’est encore mieux que la sensation d’être léger.

Angie Payne dans Light

Je pense que personne ne devrait avoir à changer son corps pour réaliser ses projets. Oui enchaîner les voies et monter dans le classement c’est un pur bonheur et une fierté immense mais rien ne vaut la liberté de se sentir bien dans son corps. La différence c’est ce qui fait que nous sommes tous unique.

Celia

Je pense que c’est important surtout de parler du regard de l’autre et de transmettre aux jeunes l’indulgence, la bienveillance et le respect. J’ai l’impression que le dénominateur commun à toutes nos histoires, c’est le sentiment d’être jugé et d’être différent… mais la différence c’est la base de l’individualité.

Mélissa Le Nevé

MERCI, BONSOIR!

Références :

  1. Bigler Fiona et Mabillard Céline (2019) Travail de Bachelor Filière Nutrition et diététique:  https://doc.rero.ch/record/327621/files/TBSc_Bigler_Mabillard.pdf
  2. Bonanséa, M., Monthuy-Blanc, J., Aimé, A., Therme, P. & Maïano, C. (2016). ATTITUDES ET COMPORTEMENTS ALIMENTAIRES INAPPROPRIÉS ET CARACTÉRISTIQUES PSYCHOSOCIALES DES SPORTIFS : COMPARAISON ENTRE DEUX NIVEAUX DE PRATIQUE SPORTIVE. Revue québécoise de psychologie, 37(1), 39–60. https://doi.org/10.7202/1040103ar 
  3. Paule Nathan (2016) Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition – Vol. XX – n° 8 Médecin du sport, endocrinologue, nutritionniste, Paris. L’anorexia athletica : une dérive de la contrainte du sport à dépister:  https://www.edimark.fr/Front/frontpost/getfiles/24577.pdf
  4. E. Filaire et al. / Science & Sports 23 (2008) 49–60 https://www.sciencedirect.com/
  5. Johnson MD. Disordered eating in active and athletic women. Clin Sports
    Med 1992;20:61–72. 
  6.  Eichner ER. General health issues of low body weight and undereating in athletes. In: Eating, body weight and performance in athletes: disorders of modern society. Edited by KD Brownell, J Rodin, and JH Wilmore. Philadelphia; 1992. p. 191–201. 
  7. My sporting body, by Chris Froome: https://www.thetimes.co.uk/article/my-sporting-body-by-chris-froome-fbcfpk8cp
  8. Rodolphe RYO (2020) CYCLISME: LA TRAQUE DES KILOS SUPERFLUS, JUSQU’À L’EXCÈS: https://rmcsport.bfmtv.com/cyclisme/cyclisme-la-traque-des-kilos-superflus-jusqu-a-l-exces_AN-202003060356.html
  9. Jani Brajkovic (2019) Skeletons in the closet: https://www.janibrajkovic.com/post/skeletons-in-the-closet
  10. Les grimpeurs français brisent le tabou des troubles du comportement alimentaire (2021) https://www.outside.fr/les-grimpeurs-francais-brisent-le-tabou-des-troubles-du-comportement-alimentaire/
  11. Arnaud Clergue (2019), Quand l’anorexie gagne le peloton… https://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand-63000/sports/quand-l-anorexie-gagne-le-peloton_13619362/?fbclid=IwAR1SnRqYm-cbTTL34ovYURZlMevGXtrZbuD3MEdoGxbd3ws_EpaYq4n8bLE
  12. Filaire Édith. Les troubles du comportement alimentaire chez le sportif. In: Les Cahiers de l’INSEP, n°40, 2008. Sport de hautniveau au féminin. Tome 3. Entretiens de l’INSEP 11, 12, 13 décembre 2007. pp. 59-80;

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