Le blindage

Par Bruno Paradis
Chronique parue le 28 février, 2021 dans le blogue des Chroniques attiliennes.

Allo. Oui, bonjour vous, vous qui êtes ici. Je ne sais pas si vous venez souvent, mais ici c’est chez moi. Vous êtes chez Attila le Fléau. Oh, ne vous en faites pas, malgré ma réputation, je suis de commerce agréable et je ne vous reproche pas votre présence. Loin de là. Au contraire, votre présence m’honore. Oui, m’honore. C’est que tout ce que vous verrez ici, en cette contrée attilienne, est de moi. J’ai tout fait! Phrases élégantes, idées brillantes, mais aussi fautes immondes et photos mal cadrées, c’est tout du Attila pur sucre. Mais comme il y a plus de deux ans que rien n’a bougé ici, le sucre a eu le temps de pogner en motton au fond du sucrier. Me voici en train de comparer mon blogue à un sucrier… quelle poésie. C’est le manque de pratique, moins on écrit, plus on écrit mal. 

C’est que je n’ai pas chômé ces deux dernières années. Ah non. Et pour vous donner un aperçu de ce qui m’a occupé, permettez-moi d’y aller de quelques bullets bien ramassés, histoire de ne pas vous étouffer avec un récit au lyrisme visqueux dont je suis -bien entendu!- tout à fait capable. Alors dans l’ordre, voici ce qui m’a pris la tête: 

  • Les rénovations/reconstructions pharaoniques de l’appart que je louais dans mon petit duplex. Vous savez, le genre de rénos qui ne se terminent jamais, même après avoir triplé le budget?
  • Une rupture retentissante d’un couple vieux de 10 ans. 
  • La vente dudit petit duplex, finalement full rénové, que j’habitais depuis 16 ans, qu’il a fallu « mettre beau » ou, dit de manière plus explicite, qu’il a fallu vider, avant sa mise en marché.
  • L’achat complexe de ce qui aurait dû être un appart “clé en main” parfait pour moi et tout mon cheptel de vélos. 
  • Des problèmes légaux en lien avec un majestueux vice caché dans l’appart clé en main qui devait être parfait pour moi.
  • La démolition de la moitié de l’appart clé en main qui devenait de moins en moins parfait pour moi, puis sa reconstruction.
  • Les négociations pour arranger la cour et faire faire une job majeure de brique sur deux façades de cette maison, néanmoins parfaite pour moi.

Deux années résumées en sept bullets. Pas pire, hein? C’est vrai que dans mon cv j’ai écrit “bon sens de synthèse”. Tout ça, c’était l’année dernière et, au fond, il n’y a eu de vrai drame. Il n’y a pas de raison pour déchirer son dernier maillot Rapha en braillant sa vie. On passe tous par là à un moment ou un autre. Si ça ne vous est pas encore arrivé, ça viendra, rassurez-vous. Et si on voit la période sous un jour positif, on distingue forcément que tout n’a pas été sombre. Ça aurait pu être pire. Tenez, comme je n’ai pas d’enfant, côté drames, ma vie est largement simplifiée. Tenez, je n’ai jamais souffert de voir un des miens faire ses dents, développer des otites à répétition, être bullyé à l’école ou se faire écraser par un autobus. Voyez comme la vision attilienne de la vie est positive.   

Mais où ai-je la tête? Nous vivons un drame mondial: je l’oubliais, mais nous vivons en pleine pandémie depuis mars dernier! Et oui, déjà un an, comme le temps passe vite quand on a plus aucune occupation. En fait, je ne vous conterai pas de menteries, la pandémie je m’en sacre pas mal. Après avoir fait deux maîtrises et m’être encore caché six longues années au doctorat, toujours en travaillant sur des objets de recherche qui n’intéressaient rigoureusement personne, la distanciation sociale ou professionnelle, l’isolement émotif et le stress de devoir survivre à son époque n’ont aucune incidence sur moi. Contre tous ces maux, je suis blindé. Tellement blindé que c’est au moment où la crise est devenue planétaire que je me suis remis à l’entraînement. J’ai renouvelé mes comptes chez Sufferfest et chez BigRing VR puis j’ai harnaché mon bike préféré sur mon smart trainer. C’est donc précisément quand tout le  monde s’est mis à capoter au sujet du virus que m’est revenu le plaisir de souffrir et de sentir monter le goût du sang dans ma bouche en faisant des intervals. 

Seul à la maison en télétravail, seul dans mon petit studio de spinning maison, seul avec mon data souvent farfelu et mes lubies cyclistes, je suis arrivé à me bricoler une petite forme qui m’a bien servi quand la santé publique nous a autorisés à rouler dehors en petits groupes. Je ne suis pas certain que nous respections les critères de distanciation de manière stricte. En fait, aujourd’hui, à l’orée d’une seconde saison cycliste en temps de Covid, désormais renforcée de ses variants, on pourrait conclure qu’il était à tout le moins inconvenant d’aligner dans un groupe serré une dizaine de copains-copines et de les lancer sur les routes à vive allure pour des sorties longues de 5 heures, tous soufflant comme des cachalots et suant sang et eau. C’est pourtant exactement ce que nous faisions. 

Et j’ai beau avoir dit il y a un instant que j’étais blindé contre l’isolement, il faut reconnaître que, ragaillardi par l’enthousiasme collectif, je n’étais pas le dernier à éprouver un très vif plaisir à prendre ma part de relais (trop) appuyés. Je me rappelle d’une sortie en particulier, un soir de juin alors que la chaleur est enveloppante et que l’humidité ambiante lubrifie les vieilles articulations. Les copains-copines, certainement aussi surpris que moi de voir la vitesse que je parvenais à tenir, se sont collectivement esclaffés lorsque j’ai (enfin) donné ma place après un relais. L’un d’eux, hilare, et faisant de son mieux pour cacher qu’il était à bout de souffle, m’a alors envoyé: “coudonc’ Tony Martin, tu roules à quoi cette année?”   

Moi, Attila, me faire comparer à Tony Martin, le puissant Panzerwagen, un coureur tout terrain, blindé et inarrêtable, quelle reconnaissance! J’étais si touché, que j’aurais payé la bière de fin de ride à toute la troupe si je ne m’étais pas fait doubler au dépanneur. 

Tout ça pour dire que seul dans mon petit studio de spinning maison, seul avec mon data souvent farfelu et mes lubies cyclistes, je tente encore de me bricoler une petite forme pour rouler avec vous, les copains-copines. J’ai hâte de vous voir! Puisse l’un ou l’autre des vaccins nous apporter le petit blindage.     


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