La quête incessante du St-Graal

Démystifions les effets de la bigorexie

Par la Mountain Queen

À noter que cet article fait suite à : L’ivresse mentale. Bigorexie, addiction sportive…(2 mai, 2021)

Tel que promis lors du premier article, nous abordons le facteur psychologique

Le sport d’endurance fait partie de notre société et de notre réalité depuis plusieurs années. Cette société avide du sans limite… (Comme disait si bien le grand philosophe Buzz Lightyear :  To Infinity and Beyond!)

  • Autant chez le professionnel :  Et…! C’est la VICTOIRE !!! Encore une fois cette année, il s’impose sur le tour de France!
  • Que pour les cyclistes amateurs participant à des événements d’endurance de toutes sortes : 
    • 3-2-1! C’est parti pour une nouvelle édition du Gaspesia 100 !
    • Ou le fameux et temps recherché You are IRONMAN !!!
    • We are so happy, you repressing the kit in Canada for the everesting!
  • Ou simplement (peut-on dire simplement ici ????) des défis invraisemblables entre amis
    • Aye Big,  t’es tu games de venir avec moi pis ma blonde samedi.  On se tape un Montréal-Ottawa, on prend un coke, une photo pis on r’vire de bord.  On va avoir le vent dans le dos tout le long anyway (Sure ?????)

Avec cette nouvelle aire, les adeptes du sport XL veulent tous pouvoir obtenir leur (Cocaign, 2017) « St-Graal de l’endurance extrême ».  Mais à quel prix?

Quête incessante

Cardinal (2013) explique dans son mémoire :

L’idée du sans limites, qui ne va plus à l’encontre de l’ordre divin, acquiert progressivement ses lettres de noblesse jusqu’à s’ériger en culte. La visée du sportif ne passe ainsi plus par une quête d’équilibre et d’harmonie, ni n’est freinée par les limites naturelles de l’homme. L’athlète d’aujourd’hui est, à l’inverse, en quête incessante de records infinis.

Catherine Cardinal – Mémoire : Évaluation du profil de personnalité des cyclistes sur route élite Québécois (2013)

La même idée est reprise par Robert Redeker dans son livre Le Sport est-il inhumain? :

Dans les temps actuels, le meilleur athlète est celui qui dépasse les limites de l’humanité, qui les fait exploser. De la mesure harmonieuse d’antan on est passé à la démesure, de 1’homme, on en est venu à faire naitre le surhomme! (p. 5-6)

Redeker, 2008

Il a déjà été démontré à maintes reprises que le sport à outrance était néfaste pour la santé physique, mais cela est une toute autre histoire (peut-être dans un prochain article… selon la demande générale et le niveau d’applaudissement des 2 premiers articles! ) … Outre les effets délétères, le sport peut entraîner le vice de l’addiction. Oui oui, la bigorexie existe! Ce n’est pas un effet de votre imagination.  Laissons place maintenant à l’aspect psychologique. 

La bigorexie est un problème multidimensionnel. L’individu peut souffrir de cette problématique sans avoir pour objectif une compétition/évènement. Ils peuvent avoir des comportements d’athlètes élites sans vouloir en devenir un (Malgré que parfois, à voir le comportement et la dévotion de certains, c’est à s’y méprendre….).   

Pour démarrer l’article sur de bonnes bases, expliquons le terme addiction.   

Addiction

Une multitude de définitions (souvent controversées) ont fait leurs apparitions au fil des années. Celle de Goodman (1990) ressort du lot. Il définit l’addiction comme une répétition d’activités susceptibles de provoquer du plaisir avec avidité. Un processus dont la fonction est de procurer du plaisir ou de soulager un malaise intérieur, avec une totale absence de contrôle qui persiste malgré les effets négatifs.

L’addiction est à la fois le fruit de la dépendance et celui de la compulsion. Ce n’est pas le type de comportement, sa fréquence ou son acceptation sociale qui déterminent si un comportement est qualifié d’addiction. C’est comment ce modèle comportemental est relié et affecte la vie de l’individu.

Goodman

Plusieurs types de tableau diagnostique ont été élaborés pour tenter de faciliter le repérage de cette maladie. Elle peut être difficile à diagnostiquer dû à sa divergence de signes et symptômes. Ce qu’il faut retenir, c’est que la bigorexie est un continuum de signes et symptômes.

Pour regrouper la majeure partie de ceux-ci et ne pas écrire 200 pages sur le sujet, j’ai élaboré un tableau synthèse.

La bigorexie est un continuum de signes et symptômes 

Sujet omniprésent: l’importance : Lorsque la passion n’est plus synonyme d’harmonie/accomplissement mais fait plutôt référence à une passion obsessive. La vie ne tourne plus qu’autour de celle-ci. Il y a perte de contrôle. 

Les aspects de temps professionnel, familial et social sont jaugés en fonction de maximiser le plus de temps pour s’adonner à l’entraînement. En bref, le sport domine le quotidien. (Cocaign, 2017) (Rozier, 2019)

Conflit/libération de tensions internes :  Cette addition entraîne une désorganisation sociale. Elle anéantit les valeurs de base de la famille et l’harmonie entre ses pairs, d’où l’émergence de la désorganisation. (Cocaign, 2017)

Il y a une hypothèse intéressante de Szabo 1995) qui met le stress en cause.

Lorsque la personne utilise l’exercice comme moyen de gestion du stress, elle apprend à avoir besoin d’exercice en période de stress. L’individu est convaincu que c’est une manière saine de gérer ses tensions et il utilise la rationalisation pour justifier l’excès d’exercice, qui prend peu à peu le dessus sur d’autres obligations. Si des événements inattendus viennent empêcher la pratique, l’individu expérimente des sentiments tels que la culpabilité, l’irritabilité,  l’anxiété… Quand l’exercice est utilisé comme moyen de gestion du stress, on observe aussi une perte d’efficacité de ce mécanisme. Dans le même temps, l’individu perd progressivement le contrôle sur des situations stressantes dont-il passe au travers grâce à l’exercice. Ces deux facteurs combinés génèrent une augmentation du sentiment de vulnérabilité, qui amplifie les sentiments négatifs dû au manque d’exercice. Ajouté à cela le délaissement des autres obligations quotidiennes, entraine des conflits relationnels, des difficultés professionnels, aboutissant à un stress toujours plus important : l’individu est piégé dans un cercle vicieux. (p.66-67)

Szabo,1995

Contrôle du poids : Perte de poids pour améliorer les performances ou l’inverse faire de l’activité physique pour s’autoriser à manger bref, le culte du corps est bel est bien présent. Il peut être accompagné de troubles alimentaires.

  • Man, tu serais mieux de manger une patate de moins à soir, plutôt que de changer ton groupe Shimano/Sram/Campagnolo xyz pour sauver 750g….
  • Il semble que ta bande Rapha commence à devenir large….
  • Pas un secret de Polichinelle, soit tu maigris , soit tu augmentes ta puissance. Le “best”, “Body” c’est les deux.

Dopage : Lorsque l’on pense au dopage, l’image qui nous vient tout suite en tête c’est les scandales du tour de France, EPO, corticostéroïdes…  Mais ici nous minimisons la prise d’ autres médicaments et les suppléments : Les anti-inflammatoires, les compléments alimentaires (vitamines), la caféine (les 8 cafés de la journée!!!), le jus de betterave à outrance …Il ne faut pas oublier que le but de cette consommation est d’augmenter l’endurance, la tolérance à la douleur et repousser la fatigue. Pour plusieurs, l’auto-médicamentation est pratique courante…

Tolérance/Euphorie/le manque (présent après 24-36h poste arrêt de l’activité) : Déjà traité dans l’article sur l’ivresse mentale.

Rechute : tendance à la réapparition des « patterns » antérieurs de l’activité  sportive et à la restauration rapide de ceux-ci après de nombreuses années d’abstinence ou de contrôle.

Poursuite du sport en dépit de la maladie physique grave et malgré l’avis contraire du médecin : Tsé genre… Tu te fais opérer, ton médecin te prescrit du repos et que tu commences déjà à « dealer » le temps recommandé dans son bureau : “Quoi 8 semaines, minute j’ai une une sortie de groupe avec Big Mike la semaine prochaine, ca fait 2 mois qu on se dit qu’on se tape le Nordet”.   

Changement d’humeur

Cette modification de l’humeur s’agit d’une expérience que les personnes rapportent comme conséquences positives de leur participation à leurs activités physiques. Elles peuvent être considérées comme une stratégie d’adaptation avec des sensations de « high », excitant, ou inversement des sensations « d’évasion » ou d’apaisement.

Rozier Pierre-Emmanuel – Thèse pour le diplôme d’état de Docteur en médecine qualification en psychiatrie : Revue de littérature narrative portant sur la dépendance à l’exercice physique. Un modèle d’addiction comportementale (2019)

L’intention : Avide de reconnaissance sociale ou renforcer leur estime de soi.  (Carrier, 1993);

Le besoin urgent de remplir un vide physique, émotif et psychique «le sport, pratiqué au quotidien de manière répétitive, empêcherait la « pensée douloureuse » et l’anesthésierait comme peut le faire l’héroïne.

Véléa, 2002/3

Nous athlètes, vivons des choses hors normes et nous sommes devenus par la force des choses, des surhommes. Mais qu’arrive-t-il lorsque nous descendons de notre piédestal pour redevenir de simple homme?… Le vide! Cercle vicieux

Le sentiment d’obligation vis-à-vis le sport (contrat) : La personne qui fait de l’activité physique par plaisir module celle-ci en fonction de sa vie, contrairement à celui qui est sous contrat avec son activité. Le sport organise leur vie. Il y a un véritable sentiment d’obligation envers lui.

Il y a changement dans toutes les sphères de sa vie …. Vêtements, alimentation, groupe social….

Le culte de la performance : (Cardinal, 2013).  Le sport d’aujourd’hui est l’image et le symptôme d’une société malade d’exploits. Le dépassement est la nouvelle religion des temps modernes et le sport, la prière pour parvenir au septième ciel.

Le culte de l’endurance à la douleur et le non-dit de la plainte qui imprègne ce milieu, potentialise les vulnérabilités psychiques des postulants à la gloire.

Prévention et diversification

Malheureusement la prévention et sensibilisation des signes des symptômes sont pratiquement inexistantes. Tout de même, il est recommandé de diversifier les activités sportives et de pratiquer en groupe plutôt que seul (Pas mal plus motivant ! Déjà faire du Zwift dans le sous-sol avec une gang virtuel, ça devient limite arrivé au mois de février!)  

Par l’écriture de ces articles, j’avais comme objectif de mettre en lumière et faire émerger en vous une prise de conscience pour ainsi peut-être vous permettre de pratiquer votre sport dans un contexte qui ne nuit pas à votre santé physique et mentale. 

Svp, au grand jamais, n’oubliez pas de laisser place à l’être humain qui se cache derrière l’athlète.   Jouer…. Même si des fois le jeu devient un peu plus sérieux!!!! 

Références :

(1)  Arthur Cocaign, (2017). Thèse en vue du Diplôme d’état de Docteur en pharmacie: La bigorexie : rôle du pharmacien d’officine dans sa prévention et sa détection. Repéré à: https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01812118/document

(2)  Rozier Pierre-Emmanuel, (2019). Thèse pour le diplôme d’état de Docteur en médecine qualification en psychiatrie : Revue de littérature narrative portant sur la dépendance à l’exercice physique. Un modèle d’addiction comportementale. Repéré à : https://dune.univangers.fr/fichiers/15009158/2019MDEPS11545/fichier/11545F.pdf

(3)  Catherine Cardinal, (2013). Mémoire : Évaluation du profil de personnalité des cyclistes sur route élite Québécois. Repéré à : https://archipel.uqam.ca/5678/1/M12703.pdf


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